L’aigle et le loup

Introduction
Pour une nouvelle histoire de la Tchétchénie

Comme touts les guerres longues, la guerre du Caucase présente des phases de batailles aiguës, entrecoupées de courtes trêves. Mais, même au plus fort des combats et des opérations de résistance, les relations de commerce n’ont jamais cessé entre les peuples montagnards et les Russes : de nombreux documents issus des archives de la douane de Kizliar montrent, en particulier, l’existence d’échanges entre Tchétchènes et colons russes. Une lecture univoque relève donc de la gageure : ainsi, un spécialiste du Caucase qui voudrait démontrer le caractère incessant des combats entre montagnards et Russes risquerait d’abuser des lecteurs non avertis, de la même façon que celui qui tenterait de prouver, à l’instar de l’école officielle soviétique des années brejnéviennes, qu’il n’y a rien eu d’autre que des incursions de brigands, et que « les peuples montagnards eux-mêmes » ont volontairement rejoint l’Empire tsariste, donnerait une vision bien éloignée de la réalité.
A l’époque tsariste puis soviétique, la lecture des événements était en effet tributaire de la vision dominante de l’Etat, si bien que tout travail indépendant sur l’histoire du Caucase constituait un défi. En outre, certains ont dû aménager leur historiographie au fil des évolutions dominantes : par exemple, ceux qui chantaient avec solennité, dans les années 1930, la grandeur du mouvement de la libération nationale des montagnards, furent contraints, à partir des années 1950, de décrire ce même mouvement comme fomenté de l’extérieur par les Anglais, les Français, ou les Turcs : ainsi Chamil, présenté un temps comme un héros national, fut ainsi transformé en agent étranger.

Des figures tchétchènes peu connues

Si nous connaisons mieux les chefs militaires de l’armée imperiale stationnée au Caucase, notamment Ermolov, Paskevitch, Rosen, Vorontsov, Mouraviev et Bariatinski, l’histoire militaire côté tchétchène paraît souvent désincarnée, comme si une masse populaire indifférenciée avait tenu tête à des troupes russes bien organisées.