The Chechenzes

Traduction de
The Universal Geography
De Elisée Reclus

Traduit par Oezda Qam

En 1868, à la fin des guerres qui avaient ravagé les vallées caucasiennes, le gouvernement russe a procédé à un recensement des populations des montagnes, estimée à 908 000. En 1872, elle était estimée à 995 000 dont près de la moitié, environ 478 000, étaient des Daghestanais. Les Chechenzes (Tchétchènes) et Lezghiens du versant nord entre Kabarda et la Caspienne forment aujourd’hui un agrégat d’environ 670 000 âmes.
Cette population est constituée de plusieurs (ethnies) différant par l’origine, la religion, les coutumes, et la langue, bien qu’il soit désormais établit que la majorité des idiomes courants ici ne sont que des variétés d’une langue de base commune. L’un d’entre eux est restreint au seul village d’Inukh, d’une trentaines de maisons, au sud ouest du Daghestan, et aucun d’eux ne possède de textes littéraires à l’exception des Avars, qui détiennent quelques documents écrits en alphabat arabe.

Parmi les peuples du Caucase de l’Est, les Chechens, ou Chechenzes, estimés à près de 140 000, sont divisés en près de 30 groupes différents, chacun avec un langage distinct.
Connu chez les Lezghiens sous le nom de Misjchgi, et auprès des Géorgiens en tant que Kists, les Chechenzes occupent tout l’ouest du Daghestan, l’est de l’Ossétie et de Kabarda et descendent même des sommets avancés vers les plaines. Leur territoire est traversé par la Sunja qui divise le territoire en la « Petite Tchétchénie », la région des plaines, et la « Grande Tchétchénie », la région montagneuse.
Tous deux, les habitants des plaines et ceux des montagnes, ont désespérément combattu contre les Russes durant le dernier siècle, sous Daud Beg et Omar Khan, de nos jours sous Ghazi Mollah et Shamyl.
(Musulmans) sunnite d’un type plus fanatique que les Circassiens et les Abkhazes de l’ouest, ils ont combattu avec dévotion inspiré d’une ferveur religieuse, combiné à l’amour de la liberté et un esprit guerrier.
Pourtant, ils ont fini par céder, et depuis 1859, la Tchétchénie, la région la plus fertile et saine, a été complètement contrôlée.
En 1819, la forteresse de Groznaya, désormais devenue la ville de Grozny, a été construite par les envahisseurs sur les rives de la Sunja entre les deux territoires Tchétchènes, et ses « menaces » comme son nom l’indique, n’ont pas été vaines.
Tout comme les Circassiens, la plupart des montagnards Chechenzes ont été contraints d’abandonner leurs maisons ancestrales, et ceux qui refusaient de s’installer dans les plaines migraient en Arménie turque dans des convois de 100 à 200 familles, escortés par des gardes russes.
Là, une infortune nouvelle les attendaient.
Après des conflits sanglants avec leurs nouveaux voisins pour la possession de terres, ils ont été déplacés de nombreuses fois, et les cimetières de chaque nouveaux endroits d’exil abritaient nombre d’imigrants.

Les Chechenzes ont une forte ressemblance avec les Circassiens, et, comme eux, sont fiers, bien proportionnés, actifs, aiment les vêtements riches qu’ils portent avec une grâce naturelle. La plupart d’entre eux ont un nez aquilin (forme courbée), et un regard inquiet, presque sinistre, mais ils sont généreux et gardent toujours une certaine dignité dans la parole et le comportement : ils tuent, mais n’insultent jamais.
Les femmes des meilleurs classes sociales portent d’élégantes robes qui révèlent la silhouette, et un large pantalon de soie de couleur rose. Des sandales roses, des bracelets d’argent, et un bout de tissu tombant sur les épaules couvrant partiellement les cheveux, complètent leur tenue.

Les habitations des Chechenzes sont presque toutes de véritables taudis, froids, humides et sombres, certaines creusées dans le sol, d’autres formées de branches entremêlées ou de pierres grossièrement jetées les unes sur les autres. Un groupe de ces habitations forme une de ces auls que l’on voit souvent perchées sur une falaise abrupte, comme des rochers irréguliers arrêtés au bord du précipice.
Avant la conquête russe, la plupart des gens vivaient dans des communes républicaines, auto-gouvernés par des rassemblements populaires comme ceux des cantons suisses primitifs.
D’autres communautés étaient assujettis aux khans héréditaires, dont le pouvoir datait des invasions musulmans. Mais tous obéissaient de la même manière aux Adats, ou aux codes oraux des lois communes.

Bien que très redoutés par les habitants des plaines en tant que brigands et maraudeurs, les montagnards du Daghestan, et surtout les Tchétchènes, probablement plus que tout autre peuple guerrier, ont révélé les plus brillantes qualités des hommes libres, du moins lors du combat final avec les Russes. « Nous sommes tous égaux » aimaient-ils répéter, et en effet il n’y avait pas d’esclaves parmi eux, à l’exception des prisonniers de guerre ou leurs descendants. Mais ils mariaient parfois les fils de leurs maîtres, et ainsi devenaient membres de la famille et égaux de tous.
Les Chechenzes ont porté leur fierté à un niveau de fanatisme, mais leur hospitalité était sans limite, bien qu’associée à des pratiques excentriques. Le voyageur est souvent accueilli par une troupe de cavaliers qui descendent en trombe du terrain de campement, tirant des coups de salve au-dessus de sa tête, puis s’arrêtant soudainement à dix ou quinze pas, et le saluant d’un profond  » Salam aleikum ! « 
Dans de telles sociétés, la justice était nécessairement régulée par la loi de la vie pour la vie, et, malgré les codes russes, cette loi est la seule qui est respectée.
Le meurtre, le pillage, le vol avec violence ne peuvent être expiés que par la mort, à moins que l’auteur de l’infraction laisse pousser ses cheveux et la partie lésée consent à les raser de ses propres mains en lui faisant prêter serment de fraternité sur le Coran. Il arrive également que la loi de la vendetta soit parfois suspendue par certaines grandes festivités.

Quand un montagnard découvre que son cheval a disparu, il se met à sa recherche, soigneusement équipé, vêtu d’un de ces tissus de laine blanche qui sert de linceul et doté d’une somme d’argent pour payer le prêtre qui doit prononcer les prières pour les morts.
Le voleur se débarrasse la plupart du temps de son butin en le vendant dans un clan éloigné, mais à la vue du propriétaire légitime armé pour un combat mortel, l’acheteur restaure l’animal, s’empare du linceul et de l’argent, et se présente devant le vendeur. S’il s’avère que c’est lui le voleur, le prêtre est appelé et ils se battent.
Mais si le vendeur a lui-même été dupé, il se met en route à son tour avec les emblèmes funestes de la lutte jusqu’à la mort, et ainsi la mort traque sa proie, à moins que le voleur de chevaux ne soit un étranger venu de l’autre côté des collines.
Une autre coutume propre à la tribu ingouche illustre leur forte croyance dans l’au-delà. Lorsque l’un des fiancés meurt durant la cérémonie de mariage, la cérémonie se déroule quand même, et le mort est uni au vivant dans une union à ratifier au ciel, le père ne manquant jamais de payer la dot fixée.

Le christianisme conserve une certaine emprise sur les Tchétchènes, bien que tous aient adopté le credo sunnite, à l’exception de ceux de Braguni, sur la Sunja. Trois églises construites sur une colline près de Kistin en l’honneur de SS.George, Marina et la Vierge sont encore des lieux de pèlerinage très fréquentés, où des béliers sont offerts en sacrifice à certaines périodes.
Ces bâtiments sont recouverts de restes d’animaux.