Le procédé de déportation

23 février 1944

rédigé par Oezda Qam

L’opération Tchétchévitsa est mise en place dès la libération de l’occupation allemande en féviers-mars 1943, soit 1 an avant la déportation.
En Octobre 1943, l’adjoint au commissaire, Koboulov, est venu dans la république afin d’examiner la situation, puis en Novembre 1943, Chernyshev lors d’une réunion avec les chefs des directions de la NKVD discutèrent de cette opération en préparation.

Initialement, 200 000 tchétchènes et ingouches devaient être envoyés à l’oblast de Novosibirsk, et 35 000 à 40 000 devaient être envoyés à l’oblast d’ Omsk, dans la région d’Altaï et de Krasnoïarsk. Mais finalement les plans ont dû être revus en décembre de la même année et les déportés devaient être envoyés au Kazakhstan et Kirghizistan. La décision de rayer l’ASSR Tchétchéno-Ingouche quant à elle a été prise, selon Roy Medvedev, le 11 février 1944 lors d’une réunion entre le comité exécutif et le Comité de défense.
Durant cette réunion, s’est notamment posée la question de la manière de s’y prendre. Certains proposant de liquider la république autonome et de déporter directement tous les Tchétchènes et les Ingouches du Caucase du Nord, et la seconde proposant d’attendre de mettre un terme à l’occupation allemande avant de déporter le peuple. Cette seconde proposition était notamment soutenue par Lavrenti Beria et Staline lui-même.

Lieux de déportation
En 1943, sur ordre de Beria, des cartographes, topographes et géodésistes ont été envoyés dans l’ASSR Tchétchéno-Ingouche afin d’étudier le terrain en détail.
A partir de là, des soldats ont commencé à être envoyés dans la république et dans les régions voisines. L’aviation était également déployée afin de non seulement apporter un soutien militaire pour les conflits en cours, mais aussi effectuer des vols de reconnaissance au-dessus de la région montagneuse de la république. Ibragimov nous explique également que l’utilisation d’armes chimiques n’était pas exclue car elle pouvait être utilisée contre les rebelles et les parachutistes allemands.
L’utilisation d’armes chimiques étant dangereuses à cause des installations pétrolières et de la population des grandes villes, Beria a d’abord voulu s’assurer que les conséquences n’allaient pas être dramatiques pour l’URSS. Mais d’après Khamzat Gakaev, malgré le risque que représentait l’utilisation d’armes chimiques pour la population générale qui ne pouvait s’en protéger, Beria, avec le consentement de Staline, complote pour utiliser ces armes contre les rebelles mais aussi contre toute la population des régions montagneuses de Tchétchénie-Ingouchie afin de faciliter la déportation de la population restante dans les montagnes.

Juillet 1943, un recensement complet de la population tchétchène et Ingouche avait été demandé, ceci afin de savoir le nombre exact de trains à prévoir et déterminer le nécessaire pour la réinstallation dans les zones de déportations. D’ailleurs, un recensement avait déjà été fait en 1939, ce qui avait, selon Nicolas Werth, fortement aidé le projet de déportation alors même qu’il n’était pas prévu à cette date.
Une chose en revanche qui avait été bien planifiée, c’est la mise en place du district d’Aoukh. Alors que les tchétchènes aekkhis demandaient depuis longtemps à mettre en place un territoire pour eux, sur leur territoire traditionnel, finalement en 1943 le projet est discuté et la district de Aoukh, composé de 15 400 personnes, est créé en Octobre 1943, 3 mois après la demande du recensement.
La joie, évidemment, est de courte durée puisque l’ensemble des aekkhis sont condamnés à être déportés, et on se rend compte que le gouvernement avait tout planifié pour faciliter la tâche.

Les voisins avaient également été mis au courant de la déportation. une lettre adressée à Lavrenti Beria en janvier 1944 rapporte que le chef du chemin de fer Ordzhonikidze a informé le président du Soviet suprême de Daghestan et le comité régional du Daghestan de la déportation des Tchétchènes et des Ingouches et l’arrivée de 40 trains et 6000 véhicules mobilisés pour l’occasion.

La mobilisation de soldats était aussi massive à partir de l’automne 1943. Les convois militaires étaient constants et les soldats, dès leur arrivée, étaient déployés dans toute la république avec l’interdiction formelle de rentrer en contact avec la population locale.
D’après Magomadov, l’effectif total des troupes du NKVD et de la SMERSH était bien plus important que l’effectif déployé pour combattre la Wehrmacht sur le territoire de l’RSSA Tchétchéno-Ingouche.

Il y avait sur le territoire un effectif total de 19 000 membres des forces spéciales du NKGB et plus de 100 000 soldats du NKVD avec un arsenal militaire, l’aviation et des véhicules de transport. Ces soldats avaient pour la plupart l’expérience d’actions similaires acquises avec la déportation des Allemands, Karatchaïs ou encore Kalmyk. 70% des soldats de la NKVD avaient été impliqués dans une déportation précédente.
Ce déploiement massif a été fait passer pour un entraînement grandeur nature en vue d’une opération pour éliminer les Allemands dans les Carpates dont les conditions seraient similaires aux montagnes et aux forêts de Tchétchénie.

A partir de l’automne 1943, le comité régional de la RSSA avait été informé de l’opération qui allait se dérouler, et devait fournir les renseignements afin de l’organiser. Mais aucun n’avait été mis au courant de la date d’exécution du plan.
Se posant la question de l’organisation du PCUS régional (parti communiste de l’Union soviétique), 6778 communistes influents ont été envoyés pour renforcer les organisations de la république. Ce renforcement des organisations régionales a été expliqué comme une nécessité pour lutter contre la menace allemande.
Début 1944, le comité territorial de Stavropol travaillait sur la procédure de réinstallation des populations sur le territoire Tchétchéno-ingouche une fois la déportation achevée.
Pour effectuer la déportation, 350 wagons couverts avaient été prévus du 23 février au 13 mars, 400 wagons du 24 au 28 février, et 100 wagons par jour du 04 au 13 mars. On compte au total 15 200 wagons et 1000 plateformes de transport qui devaient être déployés. Le nombre réellement déployé s’est finalement réduit.

Au 31 Janvier 1944, Lavrenti Beria se dit être prêt pour mener l’opération et fixer la date précise. Staline approuvant les mesures, la déportation est fixée pour le 23 février. Toutes les instances liées à la déportation sont informées de la procédure, mais Staline s’en tient à un nombre restreint de personnes.
Le 20 février, la haute direction du NKVD de l’URSS, dirigée par L. Beria, est arrivée à Grozny, qui au moment de l’opération a reçu la quasi-totalité du pouvoir de la république.
Pour pousser le vice et faciliter la tâche, les militants soviétiques parmi la population avait même été informée juste avant l’expulsion. L’objectif était que les montagnards eux-mêmes procèdent à la déportation. Ces militants devaient notamment empêcher la fuite d’information sur la déportation en disant dans les villages que “Le pouvoir soviétique est notre gouvernement. Les meilleurs fils de notre peuple ont péri dans la lutte pour cela. L’ennemi répand des rumeurs d’expulsion. Ne croyez pas ces rumeurs. Le temps d’Ermolov et de Nicolas est passé pour toujours. Ne croyez pas aux rumeurs sur la trahison du gouvernement soviétique et des bolcheviks. Travaillez calmement. Notre parti ne tolérera pas l’injustice. Souvenez-vous: l’ennemi n’est pas encore complètement vaincu, mais notre victoire n’est pas loin. « 

A la veille de la déportation, des représentants de la république et des chefs spirituels influents se sont également vus proposer des avantages durant la déportation s’ils apportent leur aide. Leur influence étant considérable, le processus pouvait être grandement facilité.

La déportation devait s’effectuer en 8 jours.
Durant les 3 premiers jours, les opérations devaient avoir lieu dans les régions des plaines, les contreforts, et dans certaines zones montagneuses qui couvraient globalement près de 300 000 habitants. Les 4 jours restants, de 150 000 à 200 000 habitants restants de la région montagneuse devaient à leur tour être déportés (le chiffre varie selon la source).
Craignant la rébellion des habitants, des militaires avaient été positionnés dans chaque zone, comprenant des unités d’infanterie et différentes unités spéciales. Les anti-soviétiques avérés étaient arrêtés par des forces d’intervention à hauteur d’un groupe d’intervention pour 2 personnes.

23 février, à 2 heure du matin, les troupes bouclent les issues, patrouillent et coupent les stations de radio et les communications téléphoniques. А 5h, en prétextant que c’est pour célébrer la fête nationale du “Jour du défenseur de la Patrie”, les habitants sont convoqués dans tous les villages. Mais finalement, ils sont encerclés, et l’ordre d’expulsion leur est lu.
“les hommes de l’Armée rouge ont allumé des feux sur les places des villages et ont commencé à chanter et à danser. Les habitants des auls, ne se doutant de rien, se sont rassemblés pour cette fête en spectateurs. Lorsque la majorité des habitants se sont rassemblés sur la place de cette manière, tous les hommes ont été arrêtés.”
Une partie est envoyée faire les bagages, 100kg maximum par famille, tandis que les restants sont envoyés aux points d’embarquement. Au même moment, les soldats sont envoyés dans les villages afin de rassembler ceux n’étant pas présents, y compris les enfants, les personnes âgés, et les patients des hôpitaux.
Magomadov rapporte dans son ouvrage que, selon un témoin oculaire, s’ils se montraient mécontents, qu’ils essayaient de fuir, ou même qu’ils ne comprenaient pas les instructions données en russe, une langue qui n’était pas encore maîtrisée par tous, ils étaient exécutés. A peine au début de la déportation, des centaines de Tchétchènes et Ingouches sont exécutés.
Le sort réservé aux habitants des montagnes n’était pas plus souple. A cause des conditions difficiles, leur rassemblement vers les points d’embarquement était fortement ralenti. Le 27 février 1944, près de 700 habitants restant de Galanchoj sont rassemblées dans le village de Khaybakh afin de recevoir les instructions. Invités à se regrouper dans une grange, ils sont brûlés vifs, y compris deux jumeaux qui venaient de naître. Les fuyards sont abattus.
Dans le district de Cheberloy, certains sont noyés dans le lac Kezenoy-am. A Urus Martan, des malades sont enterrés dans l’hôpital régional. A Itum Kale, les maisons sont bombardées de grenades et de cocktails molotov, tandis qu’à Malkhist ils sont fusillés dans une grotte, et que dans le district Nozhay-Yurtovsky, ils sont jetés dans des bottes de maïs, aspergés d’essence et brûlés vifs.
Entassés dans les wagons dans des conditions insalubres, les maladies se sont répandues et ont causé de nombreux décès. Source de tourment supplémentaire, les familles ne pouvaient enterrer les leurs, les soldats se débarrassaient des cadavres en chemin. On peut d’ailleurs entendre et lire que certains cachaient les morts pour pouvoir les enterrer eux-même une fois arrivés.
Personne n’était épargné par la déportation, pas même les prisonniers qui purgent leur peine, ou encore les travailleurs, y compris ceux dévoués à la cause soviétique, ou encore des soldats de l’armée qui avaient pourtant fait la fierté de l’URSS et de l’Armée rouge. En revanche, certains avaient le privilège d’être déportés dans de meilleures conditions et d’avoir des avantages lors de leur réinstallation.
Selon les données que rapportent Magomadov, près de 200 000 Tchétchènes et 30 000 Ingouches sont morts de la déportation. Il rapporte également que sur les 29 000 Tchétchènes aekkhi, 20 000 sont morts.
Selon la NKVD en revanche, près de 497 000 Tchétchènes et Ingouches sont déportés, mais le nombre de morts durant la déportation et les 6 premiers mois d’exil serait inférieur à 130 000 (les 130 000 n’incluent pas uniquement les Tchétchènes et les Ingouches). Des recherches montrent tout de même que les chiffres, pour les tchétchènes, tendent plutôt vers 200 000 morts. Il est aussi à rappeler que cette déportation a dans tous les cas concerné l’entièreté de la population, alors qu’on peut lire chez certains auteurs qu’elle s’élevait à près de 700 000 Tchétchènes et Ingouches, et non 500 000.

Chez eux et dans leurs lieux d’exil, ils leur a été créé une image de bandits dangereux ayant mérité la déportation. Mais un autre aspect très connu de cette déportation est la destruction des éléments culturels et historiques de la population.
Le territoire de la république est partagé entre l’Ossétie du Nord, la Géorgie et le Daghestan, les ouvrages sont jetés voir brûlés, les objets culturels disparaissent, des tours, des monuments importants, les mosquées sont détruits, mais plus encore, les pierres tombales sont utilisées pour paver les rues.
La mention des Tchétchènes et des Ingouches n’est plus faite dans les ouvrages, la république Tchétchéno-Ingouche est effacée de la carte, en 1948 un décret stipule que les déportés conserveront leur statut d’ennemis, de criminels, de traîtres à perpétuité.
L’ethnocide touche à sa fin.

Pendant que les survivants essaient de composer avec leur nouvelle vie, les quelques centaines de Tchétchènes et Ingouches étant parvenus à s’échapper lors de la déportation sont activement recherchés pendant plusieurs mois.