Kartlis Tskhovreba

Les chroniques géorgiennes de Leonti Mroveli

Rédigé par Oezda Qam

Lorsque l’on s’intéresse à l’histoire ancienne des Tchétchènes et des Ingouches, il y a un ouvrage sur lequel on finit forcément par atterrir : Kartlis Tskhovreba – Les chroniques Géorgiennes. 
L’auteur qui nous intéresse plus particulièrement, c’est Leonti Mroveli, un historien géorgien du 11eme siècle. Dans sa chronique « La vie des rois Géorgiens », il nous raconte l’histoire de la Géorgie remontant jusqu’au prophète Noé.
S’il est important de s’attarder un peu sur sa chronique, c’est parce qu’il y fait également référence, à quelques reprises, de Durdzuk et de son peuple, nom donné aux ancêtres des Tchétchènes et Ingouches actuels.

Voici donc un résumé de l’histoire de l’arrivée de la tribu de Durdzuk qui nous est rapporté par Leonti Mroveli.

Selon la version de Leonti Mroveli, Noé eut parmi sa descendance Japheth, qui eut à son tour Tarsh, qui est le père de Targamos, un homme qui s’était distingué des autres descendants, un homme que Leonti Mroveli qualifie de « Héros ». 

Lorsque les descendants de Noé ont construit Babylone et que les langues ont fini par devenir différentes, ces descendants se sont dispersés à travers le Monde et Targamos prit la décision de s’installer entre le mont Ararat et Masis. Le territoire de Targamos en revanche était délimité par la mer Pontique (mer Noire) à l’ouest, la mer Gurgan (mer Caspienne) à l’est, les montagnes d’Oreti (probablement vers la chaîne de montagnes Taurus) au sud ainsi que les montagnes du Caucase au nord.

Targamos vécu 600 ans et eut une très grande descendance. Mais parmi ses nombreux descendants, 8 de ses fils se distinguaient particulièrement et étaient les plus puissants et les plus glorieux. Dans l’ordre, nous avons Haos, Kartlos, Bardos, Movakan, Lek, Heros, Kavkaz et Egros.

Arrivé à un stade, le territoire de Targamos entre les monts Ararats et Masis ne pouvait plus contenir tout son peuple et il décida donc de partager tout le territoire en sa possession entre les 8 fils en attribuant également une partie du peuple à chacun selon son mérite.

Haos, le plus distingué des fils hérita de la moitié de la tribu de son père, ainsi que de son territoire, entre Ararat et Masis. Le reste des 7 fils furent placés au nord du territoire détenu par Targamos. Il ne détenait pas de terres au-delà des montagnes du Caucase, mais ce territoire étant inhabité, donc il le partagea entre Lek et Kavkaz. Lek eut le territoire qui part de la « mer de Derbent » jusqu’à la rivière de Lomeki (Terek) avec au nord la rivière des Khazars (peut-être la Volga) comme frontière. Quant à Kavkaz, il lui fut attribué le territoire depuis la rivière de Lomeki jusqu’à la fin de la chaîne des montagnes du côté ouest.

Les 7 frères étaient tous subordonnés à Haos, le plus distingué des fils de Targamos, mais les 8 étaient subordonnés à Nebroth, qui régnait sur le Monde entier en tant que Roi. Les années passants, Haos rassembla ses frères et leur dit « Dieu a accordé à notre tribu la puissance et la grandeur du nombre. Maintenant, avec l’aide de notre Créateur, nous ne resterons plus soumis à personne et nous ne servirons plus que Dieu – le Créateur ». Ensemble, ils mirent fin à leur subordination à Nebroth et ne payèrent plus de tribut. Collaborant avec les autres tribus, beaucoup d’autres se détournèrent de Nebroth. En colère, Nebroth rassembla son armée et ses héros (personnages particulièrement distingués) pour mettre un terme à la rébellion. De son côté, Haos rassembla ses frères et les tribus ayant rompus les liens avec Nebroth pour opposer résistance, et s’installa au pied du Mont Masis.

Campant à Adarbadagan (actuel Azerbaidjan iranien), Nebroth envoya 60 de ses héros et une armée puissante pour combattre les Targamosids et leurs alliés. L’armée de Nebroth et ses 60 héros firent face aux 7 frères de Haos et leur armée, et pendant ce temps Haos protégeait le front arrière avec une armée encore plus puissante et encourageait ses frères « avec sa voix terrifiante qui ressemblait à des éclats de tonnerre ».
Un combat sans merci s’en suivit, engendrant des pertes colossales des deux côtés, mais les Targamosids eurent le dessus sur l’armée de Nebroth et les 7 frères en sortirent indemnes et victorieux.
En apprenant la nouvelle, Nebroth décida d’envoyer toute son armée combattre les rebelles, mais essuya une défaite et mourut d’une flèche décochée par Haos. Ainsi les Targamosids et leurs alliés gagnèrent leur liberté, et chacun retourna sur ses terres.

Lorsque la foi en Dieu, L’unique, commença a se dissiper, que le culte du soleil, de la lune, des étoiles et des idoles se répandait, et que les 8 héros eurent eux aussi leur descendance, les Khazars commençaient à devenir puissants et engagèrent des offensives contre les tribus de Lek et Kavkaz. S’alliant avec les tribus des 6 autres frères, ils ravagèrent les territoires des Khazars, et firent des prisonniers. Construisant une ville à la frontière avec les Khazars, ils rentrèrent chez eux.
Suite à ça, les Khazars choisirent un roi parmi eux, auquel tous se soumirent. Mettant en place une nouvelle campagne, ils passèrent par Derbent. Trop nombreux, les Targamosids ne purent opposer suffisante résistance aux Khazars qui ravagèrent le territoire des Targamosids, au-delà des territoires des descendants de Kavkaz et Lek. Seuls les villes de Tukharisi, Samshvilde, Mt’ueris-tsikhe (Khunani), Shida Kartli et Egrisi restèrent intactes. Ayant pris le contrôle non seulement de Derbent mais aussi de la Gorge de Darial, les Khazars augmentèrent leurs raids, et parvinrent à faire des Targamosids leurs tributaires.

Lorsqu’il avait pris le contrôle des Terres des Targamosids, le roi des Khazars avait avec lui son fils Uobos. Il donna à Uobos une partie des terres de Kavkaz qui s’étendaient de l’ouest du fleuve Lomeki jusqu’à l’extrémité occidentale du Mont Caucase. De Uobos sont venus les Ovses, les Ossètes, et ce territoire est l’Ossetie. Ayant perdu du territoire et devenu tributaire des Khazars, Durdzuk, fils de Tiret et petit fils de Kavkaz, le plus distingué de la tribu de Kavkaz, s’installa avec sa tribu dans une gorge de montagne, appelant ce territoire par son nom, Durdzuketi.
Ce nom, Durdzuk, est connu comme un ethnonyme attribué aux tribus Tchétchènes et Ingouches.

Malheureusement, cette chronique de Leonti Mroveli présente des failles.

Par exemple, tous n’attribuent pas la même descendance à Targamos, Kavkaz n’étant pas parmi ses fils selon certaines versions. D’ailleurs, d’après Amjad Jaïmoukha, se basant pourtant sur les chroniques de Leonti Mroveli, Kavkaz était le plus âgé et le plus noble des fils de Targamos, et non Haos.
Dans sa chronique, Leonti Mroveli fait aussi un anachronisme en ce qui concerne les Khazars. Les Khazars ne sont mentionnés qu’à partir du 6eme-8eme siècle de notre ère, lorsqu’ils fondent leur Khaganat, alors que Leonti Mroveli fait référence à une invasion ayant eu lieu des siècles avant notre ère. Par l’appellation « Khazar », il faisait probablement plutôt référence aux Scythes qui ont mené une invasion au 8eme siècle avant notre ère.