La Qonakh

L’éthique Tchétchène
basé sur les travaux de Lecha Ilyasov

Rédigé par Oezda Qam

Lorsqu’on pose la question « qu’est-ce qu’un Qonakh ? » la réponse est souvent que c’est un preu chevalier des temps anciens, un homme aux valeurs et à la morale stricte, aux intentions pures. Mais malgré la complexité de sa définition, ce concept si central de l’éthique tchétchène possède bel et bien une définition.

Alors, qu’est-ce que réellement un qonakh, et qu’implique l’éthique tchétchène ?

Lecha Ilyasov nous explique que l’éthique Tchétchène s’organise autour de 3 valeurs morales majeures:

L’éthique Tchétchène place “Adamalla” en haute estime. Elle se définit non seulement par les vertus humanitaires; la charité, la compassion, l’empathie et la magnanimité; mais aussi par la sagesse de la personne.
La magnanimité d’une personne, et plus encore du Qonakh, est une qualité essentielle, surtout vis à vis de son ennemi. L’éthique Tchétchène n’admet pas, même envers son ennemi, une injustice et un déséquilibre des forces. Elle considère inadmissible, quel que soit le contexte, qu’un ennemi désarmé soit attaqué, ou qu’un ennemi vaincu subisse la cruauté. Le Tchétchène se doit de ne jamais être en position offensive, uniquement défensive.
Adamalla n’implique pas seulement le respect de l’individu, quelle que soit son origine et son statut, mais aussi le respect envers la nature et ce qui nous entoure.
Dans l’éthique, adamalla est ce qui distingue l’homme de l’animal.

Contrairement à Adamalla qui est universel, la seconde valeur est propre aux Tchétchènes. Nokhchalla pourrait se traduire par “Tchétchénisme”. Bien que ne concernant que les Tchétchènes, ça n’implique en rien la supériorité d’un Tchétchène sur les autres. Il s’agit simplement d’obligations éthiques supplémentaires plus rigoureuses qui encadrent le comportement social d’un Tchétchène, que ce soit avec les siens ou avec les autres ethnies.

Enfin, apparu bien avant l’arrivée de l’Islam dans les tribus montagnardes, le code éthique Qonakhalla a connu son apogée dans le moyen âge, lorsque le système clanique l’était aussi. Démontrant l’ancienneté de ces valeurs, les anciennes épopées Narts dépeignent déjà le Qonakh.

Ayant de nombreux parallèles avec le confucianisme, le code des samouraïs, le code de la chevalerie ou même encore le gentilhomme, le qonakh a aussi ses spécificités. Il place le service envers sa communauté et sa terre natale avant sa propre vie et ses propres envies.
Selon Ilyasov, “Qonakh” se traduit littéralement par “fils du peuple”.

L’ethnologue Said-Magomed Khasiev distingue trois catégories dans l’échelle des valeurs tchétchènes. Et bien évidemment, elles s’appliquent au Qonakh.
1 – Ce qui attire l’attention (le visible) – Adamalla (l’humanité), Ts1ano (la pureté de l’âme), yœh (le visage), et ghillakkh (code de bienséance);
2 – Ce qui réjouit le cœur (moins visible) – Qinkhetam (la charité), niyso (la justice), èh (la honte), et œzdangalla (la noblesse);
3 – Le fondement (l’invisible) – Laram (le respect), Baqo (la véracité), Siy (l’honneur) et Sobar (la patience).
Selon Khasiev, les vertus invisibles sont fondamentales dans l’identité du Qonakh, plus que pour n’importe qui d’autre.

Adamalla ayant été expliqué, Niyso, la justice, est probablement la deuxième vertu la plus importante pour un qonakh. Niyso est aussi désigné comme l’égalité entre les individus, et Niyso était notamment garant de la liberté tant convoitée des montagnards car son absence entraînait des conflits internes sanglants. Ainsi, celui qui se devait de servir sa patrie, le qonakh, était le garant de cette justice.

Ts1ano, la pureté de l’âme, des pensées et des désirs, des intentions, la pureté du cœur et de l’esprit, caractéristique indissociable du qonakh, et notamment influencée aujourd’hui par la religion, par le soufisme.
Liées à cette pureté, la noblesse et la bienséance définissent aussi le qonakh.
Œzdangalla, la noblesse, est assez universelle. Associées à l’humanité et à la justice, cette noblesse est le signe de hautes valeurs morales et de spiritualité. Elle se manifeste à travers le ghillakkh. Plus qu’un simple code de bienséance, le ghillakkh est un code de conduite ritualisé, un système de codes sociaux qui apporte la stabilité à la société. Quelle que soit la situation, le ghillakkh harmonise les contacts humains, et le qonakh ne peut s’en permettre un écart.

Qonakhalla est caractérisé par le respect envers le monde et la personne humaine, Laram, mais aussi par l’honneur, Siy. Son honneur est le trésor que le qonakh possède de plus cher. Il se doit de le préserver en ayant lui-même conscience de sa propre dignité, et en veillant à ce que personne ne vienne entacher. L’honneur, une fois perdu, ne peut être regagné.
Selon Ilyasov, Yah, l’esprit de compétition dans les bonnes œuvres et les actions notables, serait confondu par certains avec l’honneur. Mais pour lui, cette valeur n’est pas caractéristique du qonakh, mais du k1ant. Fort, courageux, juste et amical, le k1ant a tout d’un héros épique. En revanche, sa mission et son élévation morale n’est pas aussi importante que pour le Qonakh. Le k1ant cherche l’approbation publique par ses actions, alors que le qonakh agit par pur devoir. L’esprit de compétition du qonakh est dissimulé.

Enfin, comme le dit un vieil adage, “on reconnaît un qonakh par sa patience” – “Къонах собарца вевза”. Sobar, la patience, la retenue, … plusieurs termes pourraient être regroupés en ce mot. Mais son sens réel pour un qonakh, c’est le sacrifice de soi, l’acceptation de tout malheur avec endurance et dignité pour le bien du peuple.
Cette patience qui dépeint le qonakh, c’est aussi son attitude à l’égard de la mort. le qonakh sait qu’il ne pourra pas y échapper, mais n’en a pas peur. Le qonakh est maître de son destin, et il remplit son rôle quoi qu’il en coûte, il sert son peuple jusqu’à la fin.