Gubash Gukhoy, l’ennemi intrépride de Shamil

Rédigé par Oezda Qam

 

«Les Tchétchènes sont incontestablement les plus courageux des montagnes de l’Est. Les voyages vers leurs terres nous ont toujours coûté des sacrifices sanglants. Mais cette tribu n’a jamais été complètement imprégnée de muridisme. De tous les montagnards de l’Est, les Tchétchènes ont surtout conservé leur indépendance personnelle et sociale et ont forcé Shamil, qui régnait de façon despotique au Daghestan, à leur faire mille concessions sous forme de gouvernement, dans les devoirs du peuple, dans la rigueur rituelle de la foi. Le Gazavat n’était pour eux qu’une excuse pour défendre leur indépendance tribale … “

R. Fadeev «Soixante ans de la guerre du Caucase »

Récit d’une opposition selon Salavdy et Muhammad-takhir Al Karakhi

On nous raconte souvent que l’Imamate de Shamil a été accueillit immédiatement et unanimement chez les Tchétchènes. La réalité est que Shamil s’est heurté a une résistance de la part de certains tchétchènes ne souhaitant pas être sous ses ordres, et a eu à utiliser la force pour agrandir son armée.

Un des épisodes de l’histoire où Shamil eu à user de mesures coercitif concerne Gubash du village Gukhoy. Les détails de la confrontation entre Gubash et Shamil ont pu varier au court du temps et des versions, mais ici nous allons voir les versions de Salavdi Gubashev, descendant de Gubash, et de l’historiographe personnel de Shamil, Muhammad-takhir du Karakh.

Le récit de Salavdy

Lorsque Shamil établissait son pouvoir dans la gorge d’Argun, Salavdi Gubashev nous rapporte que son influence s’était établie tout le long de la de la gorge, de Shatoy à Itum-Kale, mais qu’il y avait une communauté située plus au dessus qui refusait de se soumettre à l’autorité de Shamil, la communauté Gukhoy.
Dans cette communauté, Gubash était un grand guerrier, à la stature imposante et à la force impressionnante. Célèbre parmi les Gukhoys, sa communauté le respectait et lui obéissait.

Ayant eu connaissance de cette communauté ne souhaitant pas se soumettre à son autorité, Shamil y envoya trois ou quatre de ses murides pour les inciter à le rejoindre, rejoindre le Gazavat et participer financièrement et matériellement à l’effort de guerre. La réponse de Gubash était claire, il ne rejoindra pas Shamil «Со боьхачу суьйличун кIелахь лелар вац». De ce mépris de Gubash résultat un affrontement entre lui et les murides qu’il parvint à tuer, à l’exception d’un qui survit et servit à transmettre le message à Shamil.

Furieux de la réaction de Gubash, Shamil, avec son armée, encercla le village et les Gukhoys entrèrent en conflit avec les murides. Les forces étant inégales, Shamil parvint à prendre le dessus sur les Gukhoys, et Gubash, et sa famille, se réfugièrent dans sa tour que Shamil décide d’assiéger puisqu’il ne parvient pas à s’en emparer.
Mais Shamil soudoya un homme qui se trouvait lui aussi dans la tour, et qui leur ouvrit l’accès pendant la nuit. Les murides pénétrèrent la tour, tuèrent les gardes, et capturèrent Gubash et son fils.

La sentence de Gubash était catégorique, il faut l’aveugler, lui crever les yeux. Puis il fut jeté dans une fosse qui se trouvait dans la tour tandis que Shamil, lui, s’installa au troisième étage.

Le récit de Muhammad-takhir

La version de Muhammad-takhir est différente. Selon ses écrits, après la construction de la forteresse royale Vozdvizhenskaya près du village de Starye Atagi en 1844, Shamil parcourut les auls sous son contrôle dans les communautés alentour. Après avoir visité Itum Kale, Zumsoy, Chinnahoy avec ses gardes du corps murids, Shamil s’est rendu aux gorges de Mulkoy, où se trouvait notamment le village Gukhoy. Vers le soir, l’imam est resté dans le village avec un vieil homme très influent du nom de Gubash.

Accueilli par Gubash, celui-ci fit exécuter un taureau pour les gardes et un bélier pour Shamil et les 8 personnes qui l’accompagnaient, pour lesquels il avait préparé une grande pièce de sa maison.
Shamil demanda à Gubash de lui faire préparer un lit près du feu, car il avait eu très froid en journée. Mais avant d’aller se coucher, il débuta une conversation avec Gubash. Ne sachant pas encore parler tchétchène il avait fait appel à un interprète d’un village voisin.

Shamil commença et dit à Gubash « Ces jours-ci, j’ai parcouru les gorges des montagnes et les communautés de Sharoi, Shatoi, Chanty, Zumsoy et Chinhoy. Partout, les montagnards reconnaissent ma puissance et promettent solennellement de me soutenir et de combattre les infidèles jusqu’à leur expulsion complète de notre pays. Seule votre communauté Mulkoy, dont vous êtes l’aîné, ne me reconnaît pas et ne se soumet pas à mon autorité. Je vous considère coupable de cette attitude de la communauté Mulkoy à l’égard du Gazavat. Demain, nous rassemblerons tous les habitants et leur parlerons. Si vous vous considérez comme un musulman fidèle, alors, en tant qu’aîné des mulkoys, vous devez agir et persuader les gens de m’obéir».

Le traducteur répéta exactement ce que dit l’Imam, mais en y ajoutant « Si vous ne le faites pas, j’ordonnerai de vous couper la tête », ce à quoi Gubash répond « Shamil, je ne me suis jamais opposé à vous et je n’ai pas persuadé les gens de s’opposer à votre pouvoir. Mais ce que vous me dites, après avoir mangé dans ma maison, est indigne d’un imam ». Cette fois, le traducteur déforma les propos de Gubash en ajoutant «Encore une chose, coupez-moi la tête ou moi je le ferai”.
Les huit accompagnateurs se jetèrent sur Gubash, et Shamil lui-même lutta longtemps contre Gubash avant de parvenir à le maîtriser.
Selon ce même rapporteur, Gubash fut attaché et ses mains liées dans le dos avec une ceinture. Sur ordre de Shamil, l’un des accompagnateurs sortit à la hâte un poignard pour rendre Gubash aveugle, puis ce dernier fut emmené dans la salle de stockage avec un des murides pour surveiller la porte.

Shamil et ses compagnons discutèrent un moment de ce qui venait de se passer, tandis que le seul avar, à l’exception de l’interprète, qui savait parler tchétchène ne dit pas un mot. Fatigués, ils finirent par se coucher.
Shamil s’allongea sur le lit qui lui avait été préparé près du feu. Mais au bout d’un moment, s’étant fortement réchauffé par le feu, il passa à la couchette. L’interprète prit sa place près du feu.

Gubash résiste

Pendant la nuit, selon les deux rapporteurs, Gubash parvint à se défaire et étrangla le garde, prit le poignard et se dirigea vers la pièce où se trouvait Shamil. Selon Salavdy, en agitant le poignard sur son passage, il tua les gardes de Shamil au 2eme étage, mais heurtant le mur de pierre il en cassa la pointe.
Toujours selon Salavdy, Shamil s’aperçut que Gubash montait les escaliers et lui sauta dessus en le frappant à la tête avec son poignard. Essayant de le jeter par terre, Gubash infligea des blessures à l’imam en lui enfonçant son poignard.
Réalisant qu’il ne pouvait pas l’avoir en le frappant à la tête, Shamil coupa la vertèbre cervicale de Gubash. C’est alors que Gubash tomba mort. Le poignard à la pointe cassée aurait été conservé par les descendants de Gubash, jusqu’à ce qu’il soit finalement perdu.

Selon Muhammad-takhir cette fois, Gubash après avoir étranglé le garde et pris le poignard, serait allé dans la pièce où se trouvait Shamil. Verrouillant la porte, il se dirigea vers le lit qu’il avait fait préparer pour Shamil en pensant qu’il y serait encore, mais Shamil ayant eu chaud durant la nuit s’était installé ailleurs et c’est le traducteur qui s’y trouvait.
Réveillés par le bruit, Shamil et les compagnons lui sautèrent dessus dans l’obscurité et une nouvelle lutte débuta contre l’aveugle Gubash.
Malgré son nouveau handicap, il parvint à en tuer plusieurs et blesser les autres, dont Shamil qui reçut 12 coups de poignard (selon Salvdy, ce serait 9).
Les gardes de Shamil, qui se trouvaient ailleurs, accoururent en entendant les bruits, prirent le poignard de Gubash et l’attachèrent de nouveau.

Allongé et maintenu, Gubash cria « Alors Shamil, si tu es encore vivant, comment trouves-tu ton hôte qui t’a accueilli comme un invité de marque ? ». Cette fois, c’est l’avar parlant tchétchène qui traduit à Shamil qui répondit « Il n’y a pas à dire ! Tu t’es avéré être un homme courageux. Mais tu es un infidèle et un chien, et au matin tu mourras comme un chien. ».

Selon Salavdy, Shamil mit 2 mois à guérir de ses blessures. Mais selon Muhammad-takhir, c’est pendant près d’une année que Shamil dû se soigner de ses blessures.