11 décembre 1994, une guerre inévitable

Rédigé par Oezda Qam

Les forces armées russes pénètrent en Tchétchénie. C’est le début d’une longue guerre meurtrière.
Cette guerre que beaucoup refusaient d’entamer semblait finalement inévitable, et ses motivations sont source de débat.

Une justification à clarifier

Selon les affirmations télévisées de Boris Eltsine, cette guerre n’a pour but que de mettre un terme à la rébellion tchétchène, menaçant l’intégrité et la sécurité de la Russie. Cette volonté indépendantiste des Tchétchènes allait entraîner, selon lui, la déclaration d’indépendance des autres républiques. Mais plus encore, cette guerre était officiellement justifiée par l’activité criminelle Tchétchène menaçant l’intégrité, non pas seulement politique et économique de la Russie, mais aussi la sécurité individuelle de chaque citoyen Russe.
Accusant le régime de Doudayev d’être impliqué dans le trafic d’arme et de drogue, il affirme dans une élocution télévisée « L’explosion du banditisme sur le territoire Tchétchène menace notre pays tout entier. Vos proches pourraient être parmi les victimes ».

Mais alors que d’autres politiciens s’enthousiasmaient à l’idée de décrire les Tchétchènes comme de dangereux criminels, ni la première, ni la seconde raison n’avaient d’arguments solides. En effet, la criminalité Tchétchène, bien que présente, n’étaient qu’insignifiante pour la Russie. De plus, il est évident qu’une intervention militaire visant autant les militaires que les civiles ne peut qu’empirer l’activité criminelle Tchétchène en terre Russe.
Quand à l’effet boule de neige que le Eltsine prétendait vouloir éviter, elle ne tient pas la route. Selon plusieurs analystes et auteurs, il ne fait aucun doute que là n’était pas la motivation d’une intervention militaire puisque la Tchétchénie était de facto indépendante depuis déjà 3 années, et les autres républiques étaient plus désireuses d’une indépendance économique que politique, ce contre quoi Eltsine ne s’était opposé.

Pour d’autres, cette intervention militaire était plutôt motivée par des raisons stratégiques et économiques.
La Russie a toujours eu un intérêt particulier à exercer une hégémonie sur le Caucase. Depuis des siècles, l’empire se bat contre les puissances musulmanes du Sud, et elle ne pouvait prendre le risque de laisser une république musulmane échapper à son contrôle.
Mais en même temps, la Tchétchénie en particulier était stratégique pour la production et surtout le transport de pétrole. Il est donc évident que la Russie ne pouvait rester indifférente alors que l’Azerbaidjan venait de signer un accord avec l’occident pour l’extraction du pétrole de la mer Caspienne. La Russie souhaitant à tout prix que le transport se fasse par leurs oléoducs, le problème qui se pose est que celui-ci passe notamment par Grozny, et la Russie ne pouvait compter sur le soutient des firmes occidentales alors que la zone est si instable. Alors, pour éviter que le transport ne se fasse par un territoire qu’il ne contrôle pas, ramener le calme devient pour Eltsine une obligation.

Mais cette fois encore, selon un représentant du ministère russe du carburant et de l’énergie et de la compagnie pétrolière Transneft, le contrôle des réserves de pétrole du territoire, et du transport du pétrole par la Tchétchénie n’avait pas une importance stratégique valant qu’une guerre soit déclarée.

Alors, certains suggèrent plutôt que le soutien politique de Eltsine étant plutôt du côté de l’armée et des services de sécurité, il aurait été influencé par des hauts placés qui souhaitaient démontrer la force de la Russie à la chute de l’URSS. Et bien que l’influence des soutiens du président Russe ne soit pas totalement démentit, des rapports officiels prouvent que les décisions prises lors de la guerre étaient bien prises par Eltsine.
Eltsine y voyait peut-être un moyen de redorer sa propre image, notamment en détournant son peuple des vrais problèmes auxquels faisait face la Russie. Peut-être espérait-il une réélection, ou bien démontrer à ses citoyens que la Russie est toujours forte.
Mais si tel était son but, sa stratégie s’est retournée contre lui. Incluant même des généraux de l’armée, l’opinion publique et politique s’était retourné contre lui et des sondages réalisés avant et au début de la guerre prouvaient que son soutien n’était pas majoritaire dans le pays.

Une stratégie en place

Ib Faurby décrit trois étapes, trois stratégies, dans la tentative de reconquête de la Tchétchénie par Eltsine.

La première stratégie selon lui était de s’appuyer sur l’opposition Tchétchène à Doudayev. Il espérait que l’opposition devienne si fort qu’il lui suffirait de l’encourager et de la supporter financièrement et militairement pour avoir au pouvoir un régime pro-russe à la place de celui de Doudayev. Mais l’opposition s’est avérée trop faible pour être une menace et le plan est abandonné.

Cet échec conduit à un second scénario dans lequel bien que l’opposition ne prenne le contrôle du territoire, il serait capable de prendre le contrôle d’une partie du territoire et créer des tensions qui obligerait officiellement la Russie à intervenir militairement pour « ramener la paix » et prendre le contrôle. Mais la guerre civile qu’espérait la Russie n’aura jamais lieu à cause des liens ancestraux, de la peur de la vengeance, et de la peur d’être décrédibilisée qui, selon Ib Faurby, empêchait les deux camps de commencer la guerre en premier.

Ce second échec conduit à la troisième et ultime stratégie, l’intervention militaire directe, sous couvert de restauration de la paix et de conservation de l’intégrité du territoire.

11 décembre 1994, l’attaque

Cette attaque devait initialement se faire en trois phases.
Pour commencer, trois détachement devaient attaquer par différents côtés. Un détachement devait démarré depuis Mozdok, un second depuis Vladikavkaz, et enfin le troisième par le biais du Daghestan. Ceci ne devait laisser aux Tchétchènes que l’option de fuir par le sud. Dans la seconde phase, les forces de Doudayev devaient être repoussées dans les montagnes, donnant l’occasion à la Russie de prendre le contrôle des plaines et créer une opposition pro-russe à Doudayev.
Enfin, la troisième phase devait être longue, probablement trois années, durant lesquels les rebelles devaient être repoussés toujours plus loin, et exterminés petit à petit.
Pour Pavel Grachev, ayant commandé l’opération, « Toutes les questions en Tchétchénie pourraient être résolues en deux heures avec un régiment de parachutistes. »

Finalement, absolument rien ne s’est passé comme prévu.

Les détachements passants par l’Ingouchie et le Daghestan sont stoppés par l’opposition locale, et une fois que l’armée de 6000 soldats parvient à Grozny, elle fait face à une résistance encore plus grande.
Faisant l’erreur de se protéger par les chars, l’armée russe se retrouve face à un ennemi équipé pour l’occasion qui l’encercle de tous côtés et les chats se retrouvent inutiles dans ces conditions. Cette armée rebelle estimée de 1 000 à 15 0000 soldats, selon certaines sources, se retrouve bien plus préparée que l’armée Russe qui se voit forcée de demander des renforts. Au final, on peut lire que la guerre débute avec près de 40 000 soldats russes contre au maximum 15 000 combattants Tchétchènes.

Ne parvenant pas à prendre Grozny et mis à mal par la résistance Tchétchène, l’armée Russe se voit contrainte de changer de stratégie.
Et alors que la guerre tourne à son avantage, Eltsine refuse de négocier à nouveau avec Doudayev, se projetant déjà vainqueur. Par cette guerre, des dizaines de milliers de Tchétchènes, civiles et militaires, perdent la vie, et plus encore s’exilent.
Mais la Russie, quant à elle, n’y a pas seulement perdu des hommes, en signant l’accord de Khassavyurt en 1996, elle y a surtout perdu sa dignité.